Absinthe et Opium

 

 

A tous les souvenirs que je garde, comme l'isthme écarlate de deux lèvres jointes, en un fugace baiser.
L'incendie qui surgit de ma mémoire, jour après jour, nuit après nuit, et les étoiles agonisantes de la voûte inclinée, se dissolvent dans les cendres de l'opium, distillant les chimères éphémères dans ses volutes épidémiques.
Emergés des antres de ceux dont l'âme s'élève en de longues colonnes de vapeurs noires, semblables au funeste augure de l'asphyxie du Malheur ; ces lourdes nuées artificielles forment des couronnes écumantes au dessus des têtes indolentes - celle à l'œil clair.
Et sous la lune gibbeuse qui projette sur le brasier jaunis de leur crâne gris ses reflets nitescents, les ombres dansantes dessinent les arabesques phosphoriques qui éveillent en eux paysages fantasmagoriques et cités merveilleuses.
Alors, encore mouillés de l'atmosphère Féerique, ils s'endorment de désespérances, sures que les songes lunaires qui les ont précédés n'auront que des échos évanescents dans leurs rêves stériles ici-bas.
A tous les souvenirs qui parfois encore siègent sur mes pensées infatigables comme le rougeoiement impérieux de l'âtre de pierre, cruel dans son immuable froideur.
Les feux de ma mémoire, d'heure en heure, se couchent à l'horizon inerte de ces crépuscules de mercure, entre les étendues également mortes - ou dévorées - de ciel et de terre.

 

 

Bercés entre les mouvements muets de ces jeux subtils ou baignés dans les flux symphoniques de sa langue, la limpide fée végétale murmure en secret en leur âme : à ceux qui aiment à deviner le ruissellement souterrain du fluide le long de leur cerveau clos, et dont elle marque l'œil, cet œil qui divague, d'océans d'émeraude.
Et dans l'hypnotique cri de ce succube, où les poussières d'obsidienne miroitent pareil à des corps incandescents, les vapeurs alcooliques lèvent sur leur esprit les brumes mélancoliques de nos réalités anthropophages.
Alors, encore inondés de ténèbres vertes qui se répercutent en ondes dont les transes s'écoulent en embruns, de feuillages et d'herbes odorantes, ils écoutent la tranquille et lancinante oscillation de leurs mémoires émiettées.
A tous les souvenirs enfin, qui chargent le grain du sablier - analogie de ce qui est à l'éternité - de Regret et d'Ennui, de Grimaces et de Folies, jusqu'à devenir les comètes ardentes qui consument mon cerveau écorché.
Lentement, ma mémoire en fusion fissure mon crâne, en enclume inclinée, et déverse devant mes yeux éteints les images disloquées d'un souffle oublié, comme le chant d'eau et de galets sous la lune ou le roulement lointain d'un orage d'été.
Allongés, prostrés, enchaînés aux supplices des réminiscences qui flagellent leurs lourdes têtes, ils cherchent l'oubli inaccessible ou la paupière qui se fermera sur le brasier de leur âme ; s'enivrent parfois des parfums d'au-delà que distille une atmosphère écliptique, dans le pli de ces étoiles où ils se perdent déjà, tandis que le Temps s'étiole, que les Heures se dispersent…

 

Et dans cet instant d'éternité où ils sont suspendus, mille soleils flamboyants leurs traversent les yeux. Ils boivent la ciguë ou les volutes létales, et tombe sur le monde la flamme obscure de leurs prunelles décharnées.
Alors, lorsque les mondes, au dehors, s'endorment et s'enfoncent dans des abîmes d'inanité, l'Absinthe et l'Opium imprègnent les étoffes des âmes raffinées que les poètes se plaisent à martyriser avec une implacable volonté, un acharnement sadique.
Mais, je sais plus encore la volupté de vampire, qu'une haine fraternelle ou une soif inextinguible aurait amené, avec laquelle l'Imagination draine le fluide mélancolique des mémoires, s'enivre de regrets et de désirs, puis m'abandonne, l'âme teintée d'étoiles, comme sur la surface d'un miroir où je demeure prisonnier.

 

 

 

Werewolfen

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
 
 

 

 

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