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Les Fleurs de
mal, XLII (1961)
Que diras-tu ce
soir, pauvre âme solitaire,
Que diras-tu, mon coeur, coeur autrefois flétri,
A la très belle, à la très bonne, à la très
chère,
Dont le regard divin t'a soudain refleuri ?
- Nous mettrons notre orgueil
à chanter ses louanges :
Rien ne vaut la douceur de son autorité ;
Sa chair spirituelle a le parfum des Anges,
Et son oeil nous revêt d'un habit de clarté.
Que ce soit dans la nuit et dans
la solitude,
Que ce soit dans la rue et dans la multitude,
Son fantôme dans l'air danse comme un flambeau.
Parfois il parle et dit: "Je
suis belle, et j'ordonne
Que pour l'amour de moi vous n'aimiez que le beau;
Je suis l'Ange gardien, la Muse et la Madone."
ENIVREZ-VOUS
(Les
petits poèmes en prose-1864)
Il faut être toujours
ivre, tout est là
; c'est l'unique question.Pour
ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules
et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie,
ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous! Et si quelquefois,
sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, vous
vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée
ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile,
à l'oiseau, à l'horloge ; à tout ce qui fuit, à
tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout
ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il
est. Et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous
répondront, il est l'heure de s'enivrer ; pour ne pas être
les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous
sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise.
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